Lev Tolstoj

Contre la violence

(1908)

 



Note

Le message de Tolstoj est très clair : penser résoudre la violence par la violence est illusoire et néfaste car, de cette façon, seule une spirale d'actes violents s'enclenche qui mènera à la destruction mutuelle. Il faut plutôt développer des réponses, trouvées au plus profond de la conscience de chacun, qui génèrent une dynamique d'entraide, mouvant de la conviction qu'il faut s'améliorer plutôt que de penser à changer la société.

Source: Lev Tolstoj, La loi de l’amour et la loi de la violence, Chapître XVII.

 


 

Préoccuppons-nous seulement de la question intérieure, celle de notre propre conduite dans la vie, et toutes les questions qui concernent le monde extérieur trouveront par là même leur meilleure solution.

Nous ne savons pas, nous ne pouvons pas savoir, en quoi consiste le bien-être général, mais nous connaissons avec certitude que ce bien-être n'est possible que si nous accomplissons la loi de la bonté révélée à tout le monde.

On ferait beaucoup plus pour le salut et la liberté de tout le monde si, au lieu de rêver au salut universel, nous travaillions à notre propre salut; et si, au lieu de vouloir libérer l'humanité, nous nous libérions nous-mêmes. (Herzen, Lecture quotidienne, 30 juin).

Il y a une seule loi dans la vie individuelle et dans la vie sociale : si tu veux améliorer ta vie sois prêt à la sacrifier. (Lecture quotidienne, 19 janvier).

Tu seras sûr de contribuer à l'améliorer la vie sociale de la manière la plus efficace si tu accomplis ta tâche dans la vie en obéissant à la volonté divine.

On fait souvent l'objection suivante : « Tout ce que tu dis est peut-être vrai, mais il sera seulement possible de s'abstenir de tout acte de violence quand le monde entier, ou même la majorité, comprendra le non-sens, l'inefficacité et le désastre de la violence. En attendant cela, que peuvent faire quelques personnes isolées? Doit-on laisser les méchants attaquer nos voisins et ne pas nous défendre? »

Supposons qu'un brigand lève un couteau sur sa victime; je le vois alors que je suis armé d'un revolver; de sorte que je peux le tuer. Mais je ne suis pas absolument certain de ce que fera le brigand. Il se peut qu'il ne frappe pas, tandis que je le tuerais certainement. C'est pourquoi la seule chose qu'un homme puisse faire dans un tel cas est de suivre sa règle de conduite invariable, dictée par sa conscience. Et sa conscience peut exiger sa propre vie, mais pas celle de quelqu'un d'autre.
Ainsi, toute personne qui est libérée de la superstition qui dit qu'il est possible de prévoir l'avenir répondra à la question de savoir qu'est-ce qu'on doit faire en présence d'un crime commis par un ou plusieurs personnes : Fais aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent.

Les hommes qui ont la plus grande assure de leur positions plus élevées dans l'échelle sociale objecte encore : « Les autres volent, pillent et tuent tandis que moi je ne fais rien de cela. Qu'ils suivent également la loi de l'entraide mutuelle, et l'on me demandera alors à mon tour de l'observer. »

« Je ne vole pas », disent le souverain, le ministre, le général, le juge, le propriétaire terrien, le marchand, le soldat et l'agent de police. De fait, nous sommes tellement imprégnés de notre conception de notre organisation sociale basée sur la violence que nous ne percevons pas tous les crimes qu'ils commettent tous les jours au nom du bien public; nous voyons seulement les rare tentatives de violence de ceux qu'on appelle meurtriers, cambrioleurs ou voleurs.

« C'est un meurtrier, c'est un voleur, il n'observe pas la règle de ne pas faire aux autres ce qu'on ne veux pas qu'ils nous fassent », disent les mêmes personnes qui continuent de tuer dans les guerres, forcent des nations à se préparer pour le carnage, et qui volent et dépouillent la leur ainsi que des nations étrangères. Si la règle de l'entraide mutuelle n'a plus d'effet sur ceux qu'on appelle dans notre société meurtriers et voleurs, c'est seulement parce qu'ils forment une partie de l'immense majorité des gens qui ont été volés et spoliés pendant des générations et des générations, qui ne voient plus le caractère criminel de leurs actes.

C'est pourquoi à la question de savoir quelle attitude adopter envers ceux qui utilisent la force contre nous, on peut seulement répondre « Cesser de faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fassent. »

Les châtiments ont un résultat différent de ce qui en est généralement attendu, sans parler de l'incohérence et de l'injustice des châtiments dans certains cas de violence, alors que les crimes les plus terribles commis par l'état au nom du bien général restent impunis. En fait, ces châtiments détruisent la puissante force de l'opinion publique, qui est cent fois plus capable de préserver la société contre tous les actes de violence que les prisons et les guillotines.

On peut appliquer ce raisonnement avec une preuve éclatante dans les relations internationales.

« Comment pourrions-nous faire autrement que de résister à une invasion de notre pays par des sauvages qui viennent pour se saisir de nos biens, de nos femmes et de nos filles? » objectent ceux qui veulent se protéger des crimes qu'ils commettent contre d'autres nations. Les blanc crient « péril jaune », les hindous, les chinois et les japonais crient avec plus de raison : « péril blanc. »

Dès que nous sommes libérés de la superstition qui justifie la violence nous comprenons toute l'horreur des crimes qui sont commis par une nation contre une autre, et même plus, la stupidité morale qui permet aux anglais, aux russes, aux allemands, aux français et aux américains de rêver de se protéger des actes de violence mêmes qu'ils commettent en Inde, en Indo-Chine, en Pologne, en Manchourie et en Algérie.

Il suffit donc de nous affranchir, même pour un instant, de la superstition horrible qui nous fait croire à la possibilité de connaître les formes futures de la société, - une prédiction qui justify tous les actes de violence, et approuve franchement notre existence actuelle, - pour comprendre immédiatement que reconnaître la necessité de s'opposer au mal par la violence n'est que la justification de nos vices habituels : la vengeance, la cupidité, l'envie, l'ambition, l'orgueil, la lâcheté et la méchanceté.

 


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