Note
Le message de Tolstoï dans cet extrait est que nous devrions concentrer nos efforts sur l'amélioration de nous-mêmes plutôt que d'imposer à tous, par le biais du système démocratique, des idées et des comportements que nous jugeons valables et indispensables à suivre. C'est pourquoi la démocratie est considérée par Tolstoï comme une superstition qui doit être supprimée et effacée de notre esprit. De plus, cette superstition de vouloir organiser, par le processus démocratique, la vie de tous, produit généralement l'effet de négliger l'amélioration individuelle.
Source : Lev Tolstoï, La loi de l'amour et la loi de la violence, 1908
« Nous vivons une époque de discipline, de culture et de civilisation, mais nous sommes encore loin de l'âge de la moralisation. Dans l'état actuel de l'humanité, on peut dire que la prospérité des États croît en même temps que la misère des peuples. Et l'on se demande encore si nous ne serions pas plus heureux dans un état brut, où toute la culture du temps présent n'existerait pas, que dans notre état actuel. En effet, comment l'être humain peut-il être rendu heureux s'il n'est pas d'abord rendu moral et sage ? Et tant que cela ne sera pas réalisé, la quantité de mal ne sera pas réduite ». (Immanuel Kant, Sur l’éducation, 1803)
« Nous sommes très habitués à trouver des manières d'organiser la vie des autres ; et ces méthodes ne nous semblent pas bizarres. Néanmoins, elles ne seraient pas nécessaires si les hommes étaient religieux et libres. En réalité, ces méthodes sont le résultat du despotisme, de la domination d'un seul ou de quelques-uns sur plusieurs. Cette erreur est néfaste, non seulement parce qu'elle tourmente et pervertit les personnes soumises au contrôle du despote, mais aussi parce que la conscience de la nécessité de se réformer diminue chez tous les êtres humains, alors qu'il s'agit de la seule véritable méthode pour influencer les autres. »
« Non seulement un homme n'a pas le droit de donner des ordres à plusieurs hommes, mais plusieurs hommes n'ont pas non plus le droit de donner des ordres à un seul. »
(Vladimir Tchertkov)
« Merveilleux. Mais pourrais-tu nous dire quelle forme prendra la société quand elle décidera de vivre sans gouvernement ? » 
C’est la question posée par ceux qui pensent que l'homme peut toujours savoir ce que sera la vie sociale du futur, et qui attribuent la même conviction à ceux qui souhaitent vivre sans un gouvernement. 
Cette idée n'est qu'une vulgaire superstition, très ancienne et très commune il est vrai. Les hommes ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, qu'elle sera cet état futur, qu'ils se soumettent ou qu'ils refusent de se soumettre au gouvernement.
Combien moins une minorité pourrait organiser les vies de tout le monde, car cette organisation est possible non selon la volonté de quelques-uns d'entre eux, mais comme le résultat de nombreux facteurs qui interviennent, dont le principal est le développement religieux de la majorité des hommes.
La superstition qui porte à penser qu'on peut dire d'avance comment la société sera organisée dans le futur a son origine dans le désir des transgresseurs de justifier leur conduite, et dans celui des victimes d'expliquer et d'alléger le poids de la contrainte.
Les premiers persuadent eux-mêmes et les autres qu'ils savent comment donner à la vie la forme qu'ils considèrent la meilleure ; les derniers, qui subissent une contrainte tel qu'ils ne se sentent pas assez forts pour se libérer eux-mêmes, ont la même conviction, car ça leur permet de donner une certaine excuse pour leur situation.
L'histoire des nations se doit de détruire cette superstition complètement. 
    À la fin du dix-huitième siècle quelques français ont essayé de maintenir le vieux régime despotique, mais en dépit de tous leurs efforts ce régime est tombé, et il a été remplacé par la république. 
De la même manière, malgré tous les efforts des chefs républicains, malgré tous leurs actes de violence, la république a été remplacée par l'empire, et c'est ainsi qu'ils se sont succédé les uns les autres : empire, coalition, Charles X, une nouvelle république, une nouvelle révolution, une nouvelle république, Louis-Philippe, puis d'autres gouvernements jusqu'à nos jours.
Les mêmes faits se sont répété partout où la violence est la base de l'action. 
    À titre d'exemple, tous les efforts de la papauté qui, loin de supprimer le protestantisme, ont seulement contribué à le développer. Le progrès du socialisme est dû aux actions des capitalistes. 
En bref, c'est seulement parce que la forme de l'organisation sociale continue de ne pas répondre ou ne répond plus à la condition morale des gens que le gouvernement qui est établit par la violence se maintient pour un certain temps, ou est modifié par l'usage de la force, non pas parce que des facteurs extérieurs assurent ou modifie son existence.
Il s'en suit que l'axiome selon lequel une minorité peut organiser la vie de la majorité, un axiome au nom duquel on commet les plus grands crimes, n'est qu'une superstition. De la même manière, et similairement, l'activité qui en résulte et qui est considérée des plus importantes et des plus honorables autant par les responsables de l'état que par les révolutionnaires n'est en réalité qu'un passe-temps aussi inutile que néfaste, qui empêche par-dessus tout l'humanité d'être heureuse.
Cette superstition a fait couler beaucoup de sang et causé des souffrances épouvantables et cela continue. Le pire c'est que cette superstition a toujours empêché et empêche encore l'amélioration sociale qui correspondrait au degré de développement de la conscience humaine.
Cette superstition empêche tout avancement véritable parce que les êtres humains dépensent tous leurs efforts à essayer de se concerter avec les autres, et négligent par là leur propre régénération morale, qui seule peut contribuer à la régénération du monde en général.
En fait, la vie sociale progresse, et le fait inévitablement, vers l'idée éternelle de perfection, grâce à l'évolution des individus dans la voie sans fin de la perfection. On voit dans tout cela l'horreur de la superstition qui nous fait négliger notre mission d'amélioration individuelle, qui seule procure le bonheur personnel et le bien-être général.
Les seuls moyens dont nous sommes réellement les maîtres, au contraire de la superstition qui nous porte à nous concentrer sur le bonheur des autres, qui n'est pas en notre pouvoir. Elle nous fait utiliser des moyens de contraintes aussi nuisibles pour nous-mêmes que pour les autres, et nous entraîne encore plus loin de la perfection sociale aussi bien qu'individuelle.