Note
L'un des principaux représentants du concept naturiste présente ses idées sur une société libertaire basée sur le respect de la nature et le retour à une vie plus saine et moins artificielle.
Source: Henri Beylie, La conception libertaire naturienne: exposé du naturisme, Parigi, 1901.
INTRODUCTION
A ceux qui souffrent de la vie actuelle, quelle que soit leur situation sociale, nous disons : Nous sommes profondément las, écoeurés, fatigués, énervés de la Vie Artificielle, par conséquent anti-naturelle que nous vivons et nous voulons en hâte revenir à un régime meilleur et anti-civilisateur, à l’Etat naturel, nos poumons en ont assez de respirer un air malsain, insalubre, nos cerveaux vidés, d’où toute pensée belle et généreuse est exclue, se décomposent de plus en plus, bref, la vie dans la Civilisation poussée à outrance c’est le Néant, l’existence dans un état Naturel, c’est le Beau, l’Art et l’Harmonie, c’est l’extension de l’être humain avec le fonctionnnement régulier de toutes les facultés de l’individu. Si la civilisation fait tant de victimes, c’est que nous sommes toujours éloignés de la Nature, au lieu de nous en rapprocher de plus en plus ; et nous, conscients, nous rêvons un jour la Nouvelle Humanité, belle, jeune, bien portante, saine et active où la libre expansion de la Pensée, pourra s’établir enfin, et ce jour-là, l’aurore sociale nouvelle poindra merveilleusement à l’horizon.
Nous sommes avant tout des révolutionnaires, et nous ne recherchons pas d’autre profit que le bonheur de l’individu, notre propagande n’est pas celle du bourgeois repu désirant la vie de la campagne, c’est une théorie essentiellement libertaire, où tous les moyens de propagande sont par nous acceptés. Nous combattons au grand jour toutes les institutions établies par la société qui nous régit, nous voulons en détruire les rouages, ne laissant pas une pierre debout. Nous avons voué une haine à tout ce qui fait la souffrance de l’homme, à tout ce qui lui enlève une parcelle de sa liberté : Armée, police, magistrature, clergé, famille, patrie, gouvernement sont pour nous des utopies que nous voulons détruire. Nous y ajoutons la Science, le Progrès, nouvelle religion, qui remplacera pour les peuples le Paradis de l’au-delà ; nous entendons par progrès et science, tout ce qui les entoure d’un luxe factice, d’un machinisme nuisible à sa santé, à son bonheur et qui détruit la Vie Naturelle.
Certains diront, c’est impossible ! Nous répondons : cette conception nous semble la meilleure, nous combattons pour sa prompte réalisation et si le résultat est mesquin mais il ne peut l’être - nous chercherons un autre système jusqu’à ce que l’Univers jouisse de la Vraie Nature.
CE QUE NOUS VOULONS DEMONTRER
C’est que nous sommes les produits de la Nature, réunion d’éléments, et qu’il est présomptueusement enfantin de parler de lutte contre la Créatrice.
Que de déclarer que la Nature, force aveugle, nous ait créés assez intelligents pour la réformer, c’est dépasser les limites accordées à l’incohérence.
Que la Terre pourvoit en abondance et dans les conditions les plus favorables à la satisfaction des trois besoins impérieux : Alimentation, Abri et Vêtements. Que par cela même l’indépendance de l’humanité est déjà toute établie ; que l’homme indépendant matériellement, l’est aussi intellectuellement, ce qui lui permet de donner toute expansion aux aptitudes d’art qu’il a en lui.
Et comme il est doué d’un système sensitif, la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le tact, qui le guide à travers les sensations agréables ou désagréables, il est à croire qu’il s’adonnera de préférence aux choses de l’Art ou d’agrément où tout est joie - et qu’il négligera quelque peu la grande industrie, vu le contact des éléments chimiques hostiles à l’organisme humain.
Voilà le fond de la théorie Naturienne-Libertaire. C’est moins compliqué que le machinisme mirifique (à l’état de rêve, hélas !) et c’est plus promptement réalisable.
FORMATION DE LA TERRE VEGETALE
Parmi les erreurs les plus grossières établies au sujet de la Nature, il faut compter celle qui tend à démontrer que la culture a amélioré les conditions, et qu’avant la pratique de cette science, les hommes et les animaux n’avaient à leur disposition que de chétifs végétaux. Or, il suffit de lire quelques ouvrages traitant de la formation de l’humus naturel, ou de se rendre compte soi-même, pour reconnaître que la couche de terre propre à la végétation a été formée par les premiers végétaux géants qui ont paru sur le Globe. Ces végétaux laissaient tous les ans tomber leur feuillage, qui, se décomposant, formait un terreau qui donnait naissance à d’autres végétaux géants, mais qui se développèrent avec un rudiment de tronc garni de tiges feuillues. Celles-ci firent place aux arbres tels que nous les connaissons, et ces arbres continuèrent la fonction de leurs devanciers et périodiquement, leurs feuilles en tombant sur le sol, augmentaient la couche de terreau ou humus qui donna naissance à la petite végétation à feuilles, à racines et à graines comestibles pour les hommes et les animaux.
On peut penser la richesse de cette couche de matière formée par des millions d’années, et comme les racines s’entremêlaient formant feutre, ce feutre maintenait la terre nourricière, et les pluies, les orages et la fonte des neiges pouvaient couler sur le sol sans en emporter une parcelle.
Or, voyons aujourd’hui les actes de vandalisme causés par nos agriculteurs enrichis, et nos chimistes patentés. Le sol, remué par les charrues, enlève le réseau des racines et déchire ce feutre protecteur, la terre mise à nu, exposée à l’action dissolvante et liquéfiante du vent et de l’eau, et comme tous les terrains sont en pente, la terre délayée par les pluies s’est écoulée à la rivière, au fleuve et de là à la mer. Depuis 3 000 ans et plus, la culture est ainsi pratiquée en Europe, le terrain naturellement fertile formé par les forêts a disparu et nous sommes arrivés à la croûte dure de la Terre, et il est évident qu’une graine jetée et abandonnée sans soins sur ce terrain ne donne plus qu’un maigre produit, mais la faute en est aux charlatans, aux savants et aux hommes civilisés.
DÉBOISEMENT, SES RAVAGES ET SES CONSÉQUENCES
L’homme n’est point encore satisfait, il dévaste la forêt, creuse des fossés, rompt les digues d’étang,, ouvre les lacs, forme des routes, des villages, des cités. L’eau emporte la graisse de la terre et n’a rien fécondé.
Elle produit des inondations par son afflux brusque, et sitôt l’été venu, sources et puits tariront. L’hiver, inondation, l’été, sécheresse mortelle : l’homme est satisfait. Encore quelques siècles de ce régime, et la terre, lavée, ravinée, desséchée, infertile, sera bientôt impuissante à nourrir ses habitants. La Nature sera bien vengée !
La première conséquence de la culture fut le sentiment de la propriété du sol. L’homme s’attribua un champ et crut travailler à son bonheur. En butte aux désirs des autres, la Guerre date de là. Les hommes affaiblis par accident ou déjà dégradés par une vie contre Nature, se laissèrent commander par d’autres, plus mâles, plus rusés. La nature les avait faits libres, ils l’oublièrent. Les puissants, maîtres de tous les moyens, inventèrent les Religions, puis l’instruction officielle, qui devaient asservir l’individu. Les guerres devinrent permanentes. Des brigands patentés sous les termes de médecins, savants, inventèrent les sciences dont le but est de dénaturer tout ce qui est naturel, et qui se firent nourrir par les autres. Ils tirèrent de la Nature, des produits et des engins monstrueux qui permirent de s’exterminer, de se tuer à distance, de falsifier les aliments et d’empoisonner l’air et les eaux.
Tous ces savants ignares, qui ignorent tout de la Nature devinrent les alliés des puissants. On fit des lois qui tuèrent l’initiative individuelle et la liberté. . Et si dans la foule un homme se lève qui propose le retour aux lois simples et naturelles, on le traite de révolutionnaire, d’anarchiste et on lui montre la guillotine, apothéose de la société pourrie, symbole de la Science.
SOI-DISANTE FEROCITÉ - BEAUTÉ - BONTÉ
Pour légitimer leur pouvoir, les religions et gouvernements ont de tout temps représenté la terre comme un lieu de misère. Il fallait masquer la Nature et son inépuisable richesse. De même l’homme était représenté comme pétri de tous les vices, de tous les crimes. Or, il suffit d’étudier la constitution de la Terre, pour s’assurer qu’elle offre à tous ses habitants, nourriture, logement et plaisirs variés, car végétaux, animaux, chacun dans sa zone ne manquent pas à l’individu. De là, l’harmonie dans la Nature.
Or, quels sont les résultats de ce bien-être dans l’organisme humain ? D’abord la santé, mère de la beauté, la force musculaire et le fonctionnement régulier de tous les viscères : coeur, poumon, poche stomacale, entrailles. Or, le cerveau étant également un viscère, son bon fonctionnement donnera, à défaut de génie, l’intelligence et le bon sens. Donc, l’être humain, placé dans son véritable milieu, la Nature, ne se trouve en aucun cas, susceptible d’éprouver la haine, la colère et l’envie. Il n’en est pas de même dans l’état civilisé, où la majeure partie des produits du sol est supprimée à l’individu, où les questions d’intérêts, de luttes, de jouissance, de bassesse, de cupidité, de servilité, rendent l’homme méchant, haineux, jaloux, lâche, situations créées par la société antinaturelle et sous ses lois. Et voilà comment il ressort que l’homme, créé bon par la Nature et fait pour être heureux, est devenu féroce et malheureux dans la Civilisation.
Des êtres beaux et sains qu’étaient les habitants de nos contrées, la société en a fait des rachitiques, des anémiques, des syphilisés, des estropiés, des amputés, sans compter la surdité, la myopie, l’idiotie et la folie. Que c’est beau la civilisation et comme nos charlatans droguistes sont fiers d’en découvrir les microbes, alors qu’il eut été plus simple et beaucoup plus savant de n’en pas créer !
HABITATIONS DIVERSES
En dehors des cavernes qui étaient les premières habitations des êtres du globe et situées aux flancs des rocs, et dont les avantages présentaient toutes les qualités d’hygiène voulues : agréable fraîcheur l’été, tiède l’hiver, jour favorable (ceci constaté par Boucher de Perthes, Louis Figuier, Lubbock, etc.) il est évident que de nos jours cela existerait dans des proportions infimes, mais il nous reste le chalet rustique, l’habitation de nos paysans, simple, hygiénique et situé à l’endroit le plus favorablement exposé pour les saisons. Quel est l’individu qui n’aspire à avoir son trou bien à lui, et nous sommes en cela inférieur aux animaux qui, tous, le possèdent ; il n’est pas besoin de sortir des écoles supérieures pour se construire son habitation, tout ouvrier maniant l’outil sera peu embarrassé et déploiera ses quelques connaissances acquises. Si la première n’est pas réussie, rien n’empêche d’en faire une seconde, puis une troisème, les connaissances et le savoir s’acquiérant à chaque tentative, et matériaux, temps, emplacement ne manquant plus, comme de nos jours, on aura tout le temps voulu pour la fignoler, l’orner, l’agrémenter au goût de chaque individu.
Quelle différence avec les pourritures que nos propriétaires nous prêtent pour reposer et vivre notre existence de galériens, et que nous acceptons sans trop murmurer.
NOURRITURE
Personne n’ignore que la France peut nourrir trois fois le nombre d’habitants qu’elle renferme, les plantes originaires, les animaux qui la composent, suffisent largement à donner à chacun le nécessaire, mais encore l’abondance, qu’aucune autre société policée ne peut nous procurer. Actuellement la vente des animaux fournit en grande quantité le nécessaire à l’homme, mais comme la spéculation et le commerce s’emploient à qui mieux mieux pour nous procurer cette denrée, il en résulte que la basse classe, celle qui produit tout et ne récolte presque rien se voit forcée de se contenter des morceaux de qualités inférieures et cela même à très petite quantité. La majeure partie des travailleurs.
VÊTEMENTS
Passons aux vêtements, et voyons si la Nature a mis à notre disposition le nécessaire pour nous garantir de la saison froide.
Dans notre belle civilisation, nous nous entourons de vêtements malsains, gênants, peu propres à nous mouvoir, qui sont les foyers des maladies contractées par les refroidissements qui nous guettent chaque jour. A l’époque où les anciens laissaient leurs membres se mouvoir à l’air pur de la pleine nature, il en résultait une activité musculaire, une richesse de sang, qui donnaient à leurs corps une souplesse, une légèreté et une résistance capables de surmonter les époques les plus froides. A ce moment, ils se vêtissaient de peaux, grossières il est vrai, mais chaudes qui les garantissaient suffisamment. Voyez, comme exemple, le paysan, l’ouvrier, dont le travail exige une dépense de force et se couvre modérément ; d’autre part l’employé, le travailleur des villes enfermés à l’atelier, au bureau.
Nous pouvons donc affirmer que toutes les maladies dont notre belle Civilisation se trouve infestée, proviennent de la nourriture insuffisante et malsaine, de l’air empuanté que nous respirons, de la quantité d’individus vivant dans un espace restreint, dans des maisons infectes, et des vêtements, aux coupes élégantes, il est vrai, mais mal préparés, trop légers, et par cela même non conformes à notre organisme, qui veut son entier développement, sans être étriqués, serrés, calfeutrés, comme nous le sommes avec nos tailleurs modernes.
PROGRÈS INTELLECTUEL
Nos adversaires ont toujours eu la singulière manie de croire que nous abolissions tout progrès intellectuel et voulions vivre à l’état de bêtes. Or, jamais dans nos écrits nous n’avons dit que nous abandonnions la culture du cerveau. Nous ne voyons pas que respirer l’air pur, manger tous les jours à sa faim, se vêtir de chaudes fourrures faites des dépouilles animales et habiter nos cabanes enguirlandées, empêchent les hommes d’être intelligents, aussi bien, et même plus facilement pour être musicien, poète, modeleur, dans nos cités, dans des habitations des aliments frelatés, et travailler l’engraissement de parasites. Le progrès intellectuel peut parfaitement grandir au sein de la Nature, la faculté d’exercer la force et l’adresse, de chanter, déclamer, peindre, modeler, se rencontrer chez tous. On verrait chacun se livrer librement et avec amour à son désir le plus cher, sous l’impulsion résultant de la bonne constitution physique.
Il nous est malheureusement impossible, ici, dans cette petite brochure, de développer, chaque chapitre dans son entier, il nous faudrait pour cela un volume de 300 pages, que nos faibles ressources ne nous permettent pas de tenter, nous ne disposons d’aucun crédit comme certains anarchistes de salons, ou de fonds colossaux, comme les socialistes étatistes, qui étalent des mensonges que les peuples avachis avalent sans sourciller.
MACHINISME
C’est ici le grand dada, l’obstacle où nos adversaires s’agitent avec le plus de force. Si nous sommes d’accord sur bien des points avec les anarchistes, le dieu machine trouve en nous des adversaires féroces. Nous déclarons bien haut que le machinisme ne donnera pas à l’homme le bonheur. Ne le pensant pas, nous croyons notre conception plus en harmonie, plus vraie, plus en rapport avec les besoins de l’individu. Les puristes scientifiques basent toutes leurs théories sur le sentiment. On fera tout par plaisir, pour le bien-être de l’Humanité (?). Je ne vois pas beaucoup, par plaisir, des individus faisant les sales métiers, répugnants, dangereux, ennuyeux, et nul doute qu’on ne choisisse les plus agréables. Les appareils merveilleux me semblent encore du rêve et quoi qu’il en soit, il faudra toujours des individus qui, ne fût-ce qu’une heure, devront mettre la main à ces travaux malsains.
Chacun pour soi, et comme je pense que tout le monde recherchera les sensations les plus agréables, j’en conclus que forcément on abandonnera les travaux de machinisme gigantesque tels que : chemin de fer, navires, chaudières, charpentes de fer et voitures de locomotion rapide. C’est l’erreur de beaucoup de compagnons très sincères, qui n’ont vu dans ce machinisme sauveur, que la réalisation* des jouissances qu’ils ne peuvent posséder actuellement.
Et puis je ne vois aucune beauté dans ce machinisme perfectionné qui, s’il continue, peuplera la terre d’estropiés et de capilotades journalières. J’aime mieux la belle nourricière, et n’ayant qu’une faible confiance dans cette nouvelle religion électrique, en cas de non succès, pour éviter de retomber aux bras de sauveurs parasites, je préfère la vie naturelle, simple il est vrai, sans luxe et sans besoins factices de la vraie Liberté après laquelle nous aspirons tous, et je la vois dans la Nature.
Nous n’empêchons personne de faire de la machine à outrance, nous sommes avant tout libertaires, mais nous ne voulons aider personne dans cette oeuvre, chacun suivant sa fantaisie, son désir, laissez-nous vivre naturellement, et nous ne doutons pas que bientôt devant nos résultats acquis, vous n’abandonniez vos engins destructeurs, pour venir grossir le bataillon des libertaires naturiens.
ROLE DE LA FEMME ET DE L’ENFANT
Il nous est impossible, je l’ai dit plus haut, de nous étendre longuement sur chaque sujet. Pourtant, le rôle de la femme à l’Etat naturel, doit tenir une des places les plus importantes. En tant que libertaire, il est presque inutile de dire que nous sommes partisans de l’amour libre, de la liberté la plus complète, pour la femme comme pour l’homme ; la prostitution légale n’existant plus, le rôle de la femme sera tout marqué au foyer familial, élever ses enfants, prendre soin de l’intérieur de la maisonnée ; en un mot, faire les quelques travaux qui sont plutôt du goût de la femme que de l’homme.
La misère n’existant plus, les êtres qui s’aimeront, éviteront les continuelles disputes occasionnées par la société actuelle, avec sa vie de souffrances et d’énervements, cela aura du moins l’avantage de resserrer les liens souvent désunis par les préjugés et les conventions de notre belle organisation actuelle.
Par le fait qu’ils se sont donnés librement, les êtres ne seront pas faits pour vivre éternellement ensemble, ils seront libres de se séparer lorsque les défauts de caractère l’exigeront, ou si l’amour n’existe plus, et chacun reprendra sa liberté d’action. Ceux qui se sentiront une affection vraie, indissoluble, continueront à vivre et finir leurs jours ensemble. Et peut-être ceux-là seront-ils plus nombreux que de nos jours, où la chaîne des lois qui nous enserrent, est un carcan qu’on rêve de rompre au plus tôt.
Les enfants appartiennent à la communauté des individus, ils ne seront plus la propriété du père et de la mère, au cas de rupture de ces derniers, l’homme ou la femme emmènera chacun de son côté les êtres qu’ils préféreront le plus. Et puis, qui refuserait de prendre dans son milieu les abandonnés, alors que l’angoisse du lendemain n’est plus à craindre, et que la Nature généreuse donne amplement à tous le couvert et l’asile assurés !
Nous serons tous enfants de la même famille, et nos enfants seront certains de vivre et de se développer matériellement et intellectuellement dans des conditions autres que celles de nos jours.
HYGIENE
Nos adversaires pour dénaturer nos idées, se sont plu à représenter les naturiens, comme nos ancêtres de l’époque préhistorique, mangeant des racines, et dans un état de saleté repoussant. Or, de nos jours, il suffit de jeter un coup d’oeil sur les gueules de nos ouvriers pour constater que la propreté et l’hygiène ne sont pas précisément leur fervent passe-temps. On ne se lave pas tous les jours, chez l’ouvrier, surtout dans les métiers où la manipulation des objets colle la poussière et les ingrédients à la peau. L’eau est réglementée à la ville, et je ne sache pas que chacun possède sa salle de bains : d’où maladies, épidémies.
Or, à l’état naturel, l’eau ne se vend pas, et les couches de matières salissantes, fournies par le travail de forçat n’existent plus, le temps et la richesse des cours d’eau incitent aux ablutions et aux soins de propreté les plus minutieux, d’où naissent, la santé, la beauté et l’harmonie.
RÉVOLUTIONNAIRES
Je l’ai dit plus haut, nous combattons la Société toute entière, et tous les moyens de révolte nous semblent bons. L’Armée, école de dégradation ; les Religions, école de dégénérescence morale, abrutissement de l’homme ; la Magistrature, foyer de bandes enjuponnées condamnant au nom de qui ? de quoi ? Police, institution abjecte et répugnante ; Gouvernements, Législateurs, bande de ramassis, qui exploitent la crédulité des foules ; Propriété, "école du vol", comme l’a si bien dit Proudhon ; Patrie, pour nous la Terre entière, pour les crétins/ fractionnée. En conséquence, nous faisons actes de révolutionnaires, en revendiquant le Droit de Vivre à notre guise.
Pour nous, la Révolution économique et sociale !
PAS DE RETOUR A L’ETAT PRIMITIF
On nous dit : "vous voulez retourner à l’Etat Primitif ?"
Qui de nous a dit cela ? Il est impossible de retourner à l’Etat Primitif. Ce que nous voulons, c’est être libres, observer les lois naturelles, si méconnues jusqu’à ce jour. Nous ne pouvons rejeter de notre cerveau ce qui y est accumulé, par conséquent, nous refaisons l’Etat Naturel avec tout notre intellect actuel et nos connaissances acquises. Ce n’est pas retourner en arrière, c’est au contraire aller de l’avant, évolution constante, nous sommes la pointe d’avant-garde. Donc nous le répétons :
PAS DE RETOUR A L’ETAT PRIMITIF, MAIS A L’ETAT NATUREL SIMPLEMENT
VÉGÉTARIENS ET NATURIENS
Il y a des végétariens qui sont Naturiens, en ce sens qu’ils aspirent comme nous aux rêves d’avenir, de liberté et d’accord, mais en règle générale, les Végétariens sont des sociétés d’individus ayant renié la viande et pas plus. Nous trouvons absurde de ne se nourrir, par idée que des végétaux, et je dois avouer qu’aucun des partisans de cette théorie n’a pu me dire ce qu’il ferait des animaux. "Pas de reproduction”, disent-ils et comment empêcherez-vous tous les êtres animés de se reproduire ? Si les animaux pullulent, ils nous mangeront à leur tour ? Et puis l’homme est constitué pour se nourrir de tous les produits de la Terre, cela modéremment et à son goût. Personne ne force à manger de la viande, c’est évident, mais si tous imitaient cet exemple, je le redemande aux Végétariens : que feraient-ils des animaux se repeuplant à l’infini ? C’est aussi absurde que la tablette de l’idiot Berthelot [1], qui voit les campagnes superbes et les fleurs et les troupeaux en liberté. Et alors, qu’en fera-t-il lui aussi des animaux ? (voir Almanach Question Sociale, 1895). Peut-être les écrasera-t-il pour ses pilules et ses tablettes.
Note
[1] Il s'agit de Marcelin Berthelot (1827-1907), un chimiste et homme politique français qui imaginait, un peu à la blague, un monde où l'alimentation serait entièrement basée sur des produits chimiques et où il ne serait plus nécessaire de cultiver la terre et d'élever des animaux:
« Dans ce temps-là, il n'y aura plus dans le monde ni agriculture, ni pâtres, ni laboureurs : le problème de l'existence de la culture du sol aura été supprimé par la chimie. […] Chacun emportera pour se nourrir sa petite tablette azotée, sa petite motte de matière grasse, son petit morceau de fécule ou de sucre, son petit flacon d'épices aromatiques, accommodés à son goût personnel ; tout cela fabriqué économiquement et en quantités inépuisables par nos usines ; tout cela indépendant des saisons irrégulières, de la pluie, ou de la sécheresse, de la chaleur qui dessèche les plantes, ou de la gelée qui détruit l'espoir de la fructification ; tout cela enfin exempt de ces microbes pathogènes, origine des épidémies et ennemis de la vie humaine. Ce jour-là, la chimie aura accompli dans le monde une révolution radicale, dont personne ne peut calculer la portée ; il n'y aura plus ni champs couverts de moissons, ni vignobles, ni prairies remplies de bestiaux. L'homme gagnera en douceur et en moralité […]. Dans cet empire universel de la force chimique […] la terre deviendra un vaste jardin, arrosé par l'effusion des eaux souterraines, où la race humaine vivra dans l'abondance et dans la joie du légendaire âge d'or » (Marcellin Berthelot, « Discours au banquet de la Chambre syndicale des Produits chimiques », 5 avril 1894)