Note
Un texte puissant qui balaie toutes les idioties sur la pureté des races (sémite et aryenne) et la supériorité que certains voudraient attribuer à leur race. Comme le dit l'auteur : "L'opposition des Aryens et des Sémites est factice ; il n’est pas vrai de dire que la race aryenne et la race sémitique sont des races pures, et que le Juif eut un peuple un et invariable. Le sang sémite s'est mélangé au sang aryen et le sang aryen au sang sémite".
Source : Bernard Lazare, L’antisémitisme. Son histoire et ses causes,1894.
… à ceux qui affirment la pureté de la race aryenne nous avons indiqué que cette race fut, comme toutes les races, le produit d'innombrables mélanges. Sans parler des temps préhistoriques, nous avons fait voir que les conquêtes perses, macédoniennes et romaines aggravèrent la confusion ethnologique qui s'accrut encore en Europe au temps des invasions. Les races dites Indo-germaines, déjà chargées d'alluvions, se mêlèrent aux Tchoudes, aux Ongriens, aux Ouro-Altaïques. Ceux des Européens qui croient descendre en droite ligne des ancêtres aryas ne songent pas aux pays si divers que ces ancêtres traversèrent en leurs longs exodes, ni à toutes les peuplades qu'ils entraînèrent avec eux, ni à toutes celles qu'ils trouvèrent établis partout où ils séjournèrent, peuplades de races inconnues et d'origine incertaine, tribus obscures et ignorées dont le sang coule encore dans les veines des hommes qui se disent les hoirs des légendaires et nobles aryas, comme le sang des jaunes Dacyas et des noirs Dravidiens coule sous la peau des blancs Aryo-Indous.
Mais pas plus que l'idée de la supériorité aryenne, l'idée de la supériorité sémitique n'est justifiée, et cependant on l'a soutenue avec autant de vraisemblance. Il s'est rencontré des théoriciens pour affirmer, et même pour prouver, que les Sémites étaient la fleur de l'humanité et que ce qu'il y avait de bon dans l'aryanisme venait d'eux ; on trouvera assurément un jour, si ce n'est déjà fait, quelque ethnologue dont le patriotisme démontrera, avec la même évidence, que le Touranien doit occuper le plus haut rang dans l'histoire et dans l'anthropologie.
Aujourd'hui, ceux qui se considèrent comme la plus haute incarnation du sémitisme, les Juifs, contribuent à perpétuer cette croyance à l'inégalité et à la hiérarchie des races. Le préjugé ethnologique est un préjugé universel, et ceux-là mêmes qui en souffrent, en sont les conservateurs les plus tenaces. Antisémites et philosémites s'unissent pour défendre les mêmes doctrines, ils ne se séparent que lorsqu'il faut attribuer la suprématie. Si l'antisémite reproche au Juif de faire partie d'une race étrangère et vile, le Juif se dit d'une race élue et supérieure ; il attache à sa noblesse, à son antiquité la plus haute importance et maintenant encore, il est en proie à l'orgueil patriotique. Bien qu'il ne soit plus un peuple, bien qu'il proteste contre ceux qui veulent voir en lui le représentant d'une nation campée parmi des nations étrangères, il n'en garde pas moins au fond de lui-même cette vaniteuse persuasion et, ainsi, il est semblable aux chauvins de tous les pays. Comme eux, il se prétend d'origine pure, sans que son affirmation soit mieux étayée, et il nous faut examiner de près l'assertion des ennemis d'Israël et d'Israël lui-même : à savoir que les Juifs sont le peuple le plus un, le plus stable, le plus impénétrable, le plus irréductible.
Les documents nous manquent pour déterminer l'ethnologie des Bené-Israël nomades, mais il est probable que les douze tribus qui, selon les traditions, composaient ce peuple, n'appartenaient pas à une souche unique; c'étaient sans doute des tribus hétérogènes car, pas plus que les autres nations, la nation juive ne peut se vanter, en dépit de ses légendes, d'avoir été engendrée par un couple unique, et la conception courante qui représente la tribu hébraïque se divisant en sous-tribus n'est qu'une conception légendaire et traditionnelle, celle de la Genèse qu’ont accepté, à tort, une partie des historiens des Hébreux. Déjà composé d'unités diverses, parmi lesquelles étaient sans doute des groupes touraniens et kouschites, c'est-à-dire jaunes et noirs, les Juifs s'adjoignirent encore d'autres éléments étrangers pendant leur séjour en Egypte et dans ce pays de Chanaan qu'ils conquirent. Plus tard, Gog et Magog, les Scythes, en venant sous Josias aux portes de Jérusalem, laissèrent peut-être leur trace en Israël. Mais c'est à partir de la première captivité que les mélanges augmentent. « Pendant la captivité de Babylone, dit Maïmonide, les Israélites se mêlant à toutes sortes de races étrangères, eurent des enfants qui, grâce à ces alliances, formèrent une sorte de nouvelle confusion des langues », et cependant, cette Babylonie, dans laquelle il existait des villes comme Mahuza, presque entièrement peuplée de Perses convertis au judaïsme, était considérée comme contenant des Juifs de plus pure race que les Juifs de Palestine. « Pour la pureté de la race, disait un vieux proverbe, la différence entre les Juifs des provinces romaines et ceux de la Judée est aussi sensible que la différence entre une pâte de médiocre qualité et une pâte de fleur de farine ; mais la Judée elle-même est comme une pâte médiocre, par rapport à la Babylonie. »
C'est que la Judée avait connu bien des vicissitudes. Elle avait toujours été un pays de passage pour Miçraïm et pour Assur ; puis quand les Juifs étaient revenus de captivité, ils s'étaient alliés avec les Samaritains, avec les Edomites et les Moabites ; après la conquête de l'Idumée, par Hyrcan, il y avait eu des alliances juives et iduméennes, et pendant la guerre avec Rome, les vainqueurs latins, avaient, affirmait-on, engendré des fils. « Sommes-nous bien sûrs, disait mélancoliquement Rabbi Ulla à Juda ben Yehisquil, de ne pas descendre des païens qui, après la prise de Jérusalem, ont déshonoré les jeunes filles de Sion ? »
Mais ce qui favorisa le plus l'introduction du sang étranger dans la nation israélite, ce fut le prosélytisme. Les Juifs furent par excellence un peuple de propagandistes, et, à partir de la construction du second Temple, à partir de la dispersion surtout, leur zèle fut considérable. Ils furent bien ceux dont l'Evangile dit qu'ils couraient « la terre et la mer pour faire un prosélyte », et Rabbi Eliézer pouvait à bon droit s'écrier : « Pourquoi Dieu a-t-il disséminé Israël parmi les nations ? Pour lui recruter partout des prosélytes. » Les témoignages attestant cette ardeur prosélytique des Juifs abondent et, durant les premiers siècles avant l'ère chrétienne, le judaïsme se propagea avec la même puissance qui caractérisa plus tard le christianisme et l'islamisme. Rome, Alexandrie, Antioche, où presque tous Les Juifs étaient des gentils convertis, Damas, Chypre furent des centres du fusion : je l'ai montré déjà. De plus, les conquérants Haschmonides obligèrent les Syriens vaincus à se faire circoncire ; des rois, entraînant leurs sujets avec eux, se convertirent, comme la famille de l'Adiabène, et, dans certains cantons de la Palestine même, la population fut très mêlée, ainsi en Galilée, dans ce « cercle des gentils » où devait naître Jésus.
[…]
Aussi, cette race juive, présentée par les Juifs et les antisémites comme la plus inattaquable, la plus homogène des races, est-elle fort diverse. Les anthropologistes pourraient tout d'abord la diviser en deux parties bien tranchées : les dolichocéphales et les brachycéphales. Au premier type appartiennent les Juifs Sephardim, Juifs espagnols et portugais, ainsi que la majeure partie des Juifs d'Italie et du Midi de la France ; au deuxième on peut rattacher les Juifs Askenazim, c'est-à-dire les Juifs polonais, russes et allemands. Mais les Sephardim et les Askenazim ne sont pas les deux seules variétés de Juifs connus ; ces variétés sont nombreuses.
En Afrique, on trouve des Juifs agriculteurs et nomades, alliés aux Kabyles et aux Berbères près de Sétif, de Guelma et de Biskra, aux frontières du Maroc ; ils vont en caravane jusqu'à Tombouctou, et quelques-unes de leurs tribus, sur les confins du Sahara, sont des tribus noires, ainsi les Daggatouns, comme sont noirs les Falachas Juifs de l'Abyssinie. Dans l'Inde, on trouve des Juifs blancs à Bombay, et des Juifs noirs à Cochin, mais les Juifs blancs ont du sang mélanien. Ils s'établirent dans l'Inde au cinquième siècle, après les persécutions du roi perse Phéroces qui les chassa de Bagdad ; toutefois, on rapporte leur établissement à une date plus reculée : à la venue des Juifs en Chine, c'est-à-dire avant Jésus. Quant aux Juifs de Chine, ils sont non seulement apparentés aux Chinois qui les entourent, mais encore ils ont adopté les pratiques de la religion de Confucius.
Donc le Juif a été incessamment transformé par les milieux différents dans lesquels il a séjourné. Il a changé parce que les langues diverses qu'il a parlées ont introduit en lui des notions différentes et opposées, il n'est pas resté tel qu'un peuple uni et homogène, au contraire, il est à présent le plus hétérogène de tous les peuples, celui qui présente les variétés les plus grandes, et cette prétendue race dont amis et ennemis s'accordent à vanter la stabilité et la résistance nous présente les types les plus multiples et les plus opposés, puisqu'ils vont du Juif blanc au Juif noir, en passant par le Juif jaune, sans parler encore des divisions secondaires, celles des Juifs aux cheveux blonds ou rouges, et celles des Juifs bruns, aux cheveux noirs.
Par conséquent, le grief ethnologique des antisémites ne s'appuie sur aucune base sérieuse et réelle.
L'opposition des Aryens et des Sémites est factice ; il n’est pas vrai de dire que la race aryenne et la race sémitique sont des races pures, et que le Juif eut un peuple un et invariable. Le sang sémite s'est mélangé au sang aryen et le sang aryen au sang sémite ; Aryens et Sémites ont tous deux reçu encore l'adjonction du sang touranien et du sang chamite, nègre ou négroïde, et dans la Babel de nationalités et de races qu'est actuellement le monde, la préoccupation de ceux qui cherchent à reconnaître dans leurs voisins quel est l'Aryen, le Touranien et le Sémite, est une préoccupation oiseuse.