Pierre-Joseph Proudhon

L'état: nature, objet, destination

(1849)

 



Note

Voici quelques-unes des idées de Proudhon sur l'État, visant à démasquer ceux qui veulent se présenter comme les protecteurs-sauveurs du peuple.

Source: “Résistance. Louis Blanc et Pierre Leroux”, publié dans La Voix du Peuple, 3 Décembre 1849.

 


 

La Révolution de Février a posé deux questions capitales : l'une économique, c'est la question de travail et de propriété; l'autre, politique, c'est la question de gouvernement ou d'Etat.

Sur la première de ces questions, la Démocratie socialiste est à peu près d'accord. Oh reconnaît qu'il ne s'agit nullement de saisir et partager les propriétés, pas même d'en opérer le rachat ; de soumettre le riche et le propriétaire à des surtaxes de mauvaise foi, qui, tout en faisant mentir le principe de propriété, reconnu dans la Constitution, n'auraient pour effet que de bouleverser l'économie générale, et d'aggraver la situation du prolétariat. La réforme économique consiste, d'un côté, à créer une concurrence au crédit usuraire, et, par suite, à faire perdre au capital son revenu, en autres termes, à identifier, dans tout citoyen et au même degré, la qualité de travailleur et celle de capitaliste;— d'autre part, à abolir tout le système des impôts actuels, qui ne frappent que sur le travailleur et sur le pauvre, et à les remplacer tous par un impôt unique, à titre de prime d'assurance, sur le capital.

Par ces deux grandes réformes, l'économie sociale est renouvelée de fond en comble ; les rapports commerciaux et industriels sont intervertis, et les bénéfices, aujourd'hui assurés au capitaliste, reportés sur le travailleur. La concurrence, actuellement anarchique et subversive, devient émulative et féconde ; le débouché ne faisant plus défaut, l'ouvrier et l'entrepreneur, solidairement unis, n'ont plus à craindre ni stagnation ni chômage. Un ordre nouveau s’établit sur les vieilles institutions abolies ou régénérées.

Sur ce point, la ligne révolutionnaire est tracée; le sens du mouvement est connu Quelque variété qu'on apporte dans l'application, la réforme sera opérée d'après ces principes et sur ces bases ; la Révolution n'a pas d'autre issue. On peut donc considérer le problème économique comme résolu.

Il n'en est pas de même, tant s'en faut, du problème politique, c'est-à-dire de la détermination à faire, pour l'avenir, du gouvernement et de l'Etat. Sur ce point, la question n'est pas même posée : il n'y a rien dans la conscience publique et dans l'intelligence des masses. La Révolution économique accomplie comme nous venons de le dire, le gouvernement, l'Etat, peut il, doit-il subsister encore ? Voilà ce que personne, ni dans! la Démocratie, ni hors de la Démocratie, n'ose révoquer en doute ; et telle-est pourtant la question qu'il s'agit d' examiner, à peine de nouvelles catastrophes.

Nous affirmons donc et jusqu'à présent nous sommes seuls à l'affirmer, qu'avec la Révolution économique , que l'on ne conteste plus, l'Etat doit entièrement disparaître ; que cette disparition de l'Etat est la conséquence nécessaire de l'organisation du crédit et de la réforme de l'impôt ; que par l'effet de cette double innovation, le gouvernement devient successivement inutile et impossible ; qu'il en est de lui, à cet égard, comme de la propriété féodale, du prêt à intérêt, de la monarchie absolue ou constitutionnelle, des institutions judiciaires, etc., qui tous ont servi à l'éducation le la liberté, mais qui tombent et s'évanouissent lorsque la liberté est arrivée à sa plénitude.

D'autres, au contraire, parmi desquels se distinguent en première ligne Louis Blanc et Pierre Leroux, soutiennent qu'après la révolution économique il faut continuer l'Etat, réserve faite d’une réorganisation de l'Etat, sur laquelle ils n'ont fourni jusqu'à cette heure ni principe ni plan. Pour eux, la question politique, au lieu de s'annihiler en s'identifiant à la question économique subsiste toujours : ils maintiennent, en l'agrandissant, encore, l'Etat, le pouvoir, l'autorité, le gouvernement. Tout ce qu'ils font, c'est de changer les appellations ; de dire, par exemple, au lieu de l'Etat-maître, l’Etat-serviteur, comme s'il suffisait de changer les mots pour transformer les choses ! Au-dessus de ce système de gouvernement, tout-à-fait inconnu, plane un système de religion dont le dogme est également inconnu, le rite inconnu, le but, sur la terre ou dans le ciel, inconnu.

Telle est donc la question qui divise en ce moment la Démocratie socialiste, en ce moment d'accord, ou peu s'en faut, sur le reste : l'Etat doit-il exister encore, lorsque, l'équation du travail et du capital sera opérée ? En autres termes, aurons-nous toujours, comme nous l'avons eue jusqu'à présent, une Constitution politique en dehors de la constitution sociale ?

Nous répondons par la négative. Nous soutenons que le capital et le travail une fois identifiés, la société subsiste par elle-même et n'a plus besoin de gouvernement. Nous sommes, en conséquence, et nous l'avons proclamé plus d'une fois, des anarchistes. L'anarchie est la condition d'existence des sociétés adultes, comme la hiérarchie est la condition des sociétés primitives : il y a progrès incessant, dans les sociétés humaines, de la hiérarchie à l'anarchie.

Louis Blanc et Pierre Leroux affirment le contraire : outre leur qualité de socialistes, ils retiennent celle de politiques; ce sont des hommes de gouvernement et d'autorité, des hommes d'Etat. Pour vider le différend, nous avons, donc à considérer l'Etat, non plus au point de vue de l'ancienne société, qui l'a naturellement et nécessairement produit, et qui va finir; — mais au point de vue de la société nouvelle, telle que la font ou la doivent faire les deux réformes fondamentales et corrélatives du crédit et de l'impôt. Or, si nous prouvons qu'à ce dernier point de vue, l'Etat, considéré dans sa nature, repose sur une hypothèse complètement fausse ; qu'en second lieu, considéré dans son objet, l'Etat ne trouve de raison d'existence que dans une seconde hypothèse, également fausse; qu'enfin, considéré dans les motifs d'une prolongation ultérieure, l'Etat ne peut invoquer encore qu'une hypothèse aussi fausse que les deux premières : ces trois points éclaircis, la question sera jugée ; l'Etat sera reconnu chose superflue, par conséquent nuisible, impossible; le gouvernement sera une contradiction.
Procédons de suite à l'analyse.

I. - De la nature de l'Etat

« Qu'est-ce que l'Etat ? » se demande Louis Blanc.
Et il répond:
« L'Etat, en un régime monarchique, c'est le pouvoir d'un homme, la tyrannie dans un seul.
« L'Etat, en un régime oligarchique, c'est le pouvoir d'un petit nombre d'hommes, la tyrannie dans quelques-uns.
« L'Etat, en un régime aristocratique, c'est le pouvoir d'une classe, la tyrannie dans plusieurs.
« L'Etat, en un régime anarchique, c'est le pouvoir du premier, venu qui se trouve être le plus intelligent et le plus fort ; c’est la tyrannie dans le chaos.
« L'État, dans un régime démocratique, c'est le Pouvoir de tout le Peuple, servi par ses élus; c'est le règne de la Liberté. »

Sur les vingt-cinq ou trente mille lecteurs de Louis Blanc, il n'en est peut-être pas dix à qui cette définition de l'Etat n'ait paru démonstrative, et qui ne répètent, après le maître: l'Etat, n'est le pouvoir d'un, de quelques-uns, de plusieurs, de tous ou du premier venu, suivant qu'on fait suivre le mot Etat de l'un de ces adjectifs : monarchique, oligarchique, aristocratique, démocratique ou anarchique. Les délégués du Luxembourg, — qui se croient volés, à ce qu'il semble, quand on se permet d'avoir une opinion autre que la leur sur la signification et les tendances de la Révolution de Février,— dans une lettre rendue publique, m'ont fait l'honneur de m’informer qu'ils trouvaient la réponse de Louis Blanc tout à fait victorieuse, et que je n'avais rien à y répondre. Il paraît que personne, parmi les citoyens délégués, n'a appris le grec: Autrement, ils auraient vu que leur maître et ami Louis Blanc, au lieu de dire ce que c'est que l'Etat, n'a fait autre chose que traduire en français les mots grecs monos, un ; oligoï, quelques-uns; aristoï, les grands ; démos, le Peuple, et a privatif, qui veut dire : non. C'est à l'aide de ces qualificatifs, qu'Aristote a différencié les différentes formes de l'Etat, lequel s'exprime par archê, autorité, gouvernement, Etat. Nous en demandons bien pardon à nos lecteurs, mais ce n’est pas notre faute si la science politique du président du Luxembourg ne va pas plus loin que l'étymologie.

Et voyez l'artifice ! Il a suffi à Louis Blanc, dans sa traduction d'employer quatre fois le mot tyrannie, tyrannie d'un seul, tyrannie de plusieurs, etc., et de le supprimer une, Pouvoir du Peuple servi par ses élus, pour enlever d'emblée les applaudissements. Tout autre Etat que le démocratique, tel que l'entend Louis Blanc, est tyrannie. L'anarchie surtout est traitée d'une façon particulière; c'est le pouvoir du premier venu qui se trouve être le plus intelligent et le plus fort, c'est la tyrannie dans le chaos. Quel monstre que ce premier-venu, qui, tout premier venu qu'il est, se trouve être cependant le plus intelligent et le plus fort, et qui exerce sa tyrannie dans le chaos? Qui pourrait, après cela, préférer l'anarchie à cet aimable gouvernement de de tout le Peuple, servi si bien, comme l'on sait, par ses élus? Comme c'est triomphant, cela! Du premier coup, nous voilà par terre. Ah! rhéteur, remerciez Dieu d'avoir créé pour vous tout exprès, au dix-neuvième siècle, une sottise pareille à celle de vos soi-disant délégués des classes ouvrières, sans cela vous seriez mort sous les sifflets, la première fois que vous avez touché une plume.

Qu'est-ce que l'Etat? Il faut une réponse à cette question: l'énumération qu'a faite, après Aristote, des différentes espèces d'Etat, le citoyen Louis Blanc, ne nous a rien appris. Quant à Pierre Leroux, ce n'est pas la peine de l'interroger: il nous dirait que la question est indiscrète, que l'Etat a toujours existé, qu'il existera toujours: c'est la, raison suprême des conservateurs et des bonnes femmes.

L'Etat est la constitution EXTERIEURE de la puissance sociale.

Par cette constitution extérieure de sa puissance et souveraineté, le Peuple ne se gouverne pas lui-même: c'est, tantôt un individu, tantôt plusieurs, qui, à titre électif ou héréditaire, sont chargés de le gouverner, de gérer ses affaires, de traiter et compromettre en son nom, en un mot de faire tous actes de père de famille, tuteur, gérant ou mandataire, nanti de procuration générale, absolue et irrévocable.

Cette Constitution externe de la puissance collective, à laquelle les Grecs donnèrent le nom d'arché, principauté, autorité; gouvernement, repose donc sur cette hypothèse, qu'un Peuple, que l'être collectif qu'on nomme une société, ne peut se gouverner, penser, agir, s'exprimer, par lui-même, d'une manière analogue à celle dès êtres doués de personnalité individuelle; qu'il a besoin, pour cela, de se faire représenter par un ou plusieurs individus, qui, à un titre quelconque sont censés les dépositaires de la volonté du Peuple, et ses agents. Il y a impossibilité, suivant cette, hypothèse, à ce que la puissance collective, qui appartient essentiellement à la masse, s'exprime et agisse directement, sans l'intermédiaire d'organes constitués exprès, et pour ainsi dire apostés ad hoc. Il semble, disons-nous, - et c'est ce qui explique la Constitution de l'Etat dans toutes ses variétés et espèces, - que l'être collectif, que la société, n'étant qu'un être, de raison, ne peut se rendre sensible, autrement que par voie d'incarnation monarchique, d'usurpation aristocratique, ou de mandat démocratique; conséquemment, que toute manifestation propre et personnelle lui soit interdite.

Or, c'est précisément, cette notion de l'être collectif, de sa vie, de son action, de son unité, de son individualité, de sa personnalité; - car la société est une personne, entendez-vous? comme l'Humanité tout entière est une personne; -c'est cette notion de l'être humain collectif que nous nions aujourd'hui; et c'est pour cela que nous nions aussi l'État, que nous nions le gouvernement, que nous repoussons de la société économiquement révolutionnée, toute constitution de la puissance populaire, en dehors et au-dessus de la masse, par royauté héréditaire, institution féodale, ou délégation démocratique.

Nous affirmons, au contraire, que le Peuple, que la société, que la masse , peut et doit se gouverner lui-même, penser, agir, se lever et s'arrêter, comme un homme, se manifester enfin dans son individualité physique, intellectuelle et morale, sons le secours de tous ces truchements qui jadis furent des despotes, qui maintenant sont des aristocrates, qui, de temps à autre, ont été de prétendus délégués, complaisants ou serviteurs de la foule, et que nous nommons purement et simplement agitateurs du Peuple, démagogues.

En deux mots : Nous nions le gouvernement, et l'Etat, parce que nous affirmons, ce à quoi les fondateurs d'Etats n'ont jamais cru, la personnalité et l'autonomie des masses.

Nous affirmons de plus que toute constitution d'État n'a d'autre but que de conduire la société à cet état d'autonomie; que les différentes formes d'Etats, depuis la monarchie absolue jusqu'à la démocratie représentative, ne sont toutes que des moyens termes, des positions illogiques et instables, servant tour à tour de transitions ou d'étapes à la liberté, et formant les degrés de l'échelle politique, à l'aide de laquelle les sociétés s'élèvent à la conscience et à la possession d'elles-mêmes.

Nous affirmons, enfin, que cette, anarchie, qui exprime, comme on le voit maintenant, le plus haut degré de liberté et d'ordre auquel l'humanité puisse parvenir, est la véritable formule de la République, le but auquel nous pousse la Révolution de Février : de telle sorte qu'entre République et Gouvernement, entre le Suffrage universel et l'Etat, il y a contradiction.

Ces affirmations systématiques, nous les établissons de deux manières : d'abord, par la méthode historique et négative, en démontrant que toute Constitution de pouvoir, toute organisation de la force collective par extérioration est devenue pour nous impossible. — C'est ce que nous avons commencé de faire dans les Confessions d'un Révolutionnaire, en racontant la chute de tous les gouvernements qui se sont succédé, en France depuis soixante ans, en dégageant la cause de leur abolition, et signalant en dernier lieu l'épuisement et la mort du pouvoir dans le règne corrompu de Louis-Philippe, dans la dictature inerte du gouvernement provisoire, et la présidence insignifiante du général Cavaignac et de Louis Bonaparte.

Nous prouvons, en second lieu, notre thèse, en expliquant comment, par la réforme économique, par la solidarité industrielle, et l'organisation du suffrage universel, le Peuple passe de la Spontanéité à la Réflexion et à la Conscience; agit, non plus par entraînement et fanatisme, mais avec dessein; se comporte sans maîtres ni serviteurs, sans délégués comme sans aristocrates, absolument comme ferait un individu. Ainsi, la notion de personne, l'idée du moi, se trouve étendue et généralisée : il y a la personne ou le moi individuel, comme il y a la personne ou le moi collectif; dans l'un comme dans l'autre cas, la volonté, l'action, l'âme, l'esprit, la vie, inconnus dans leur principe, insaisissables dans leur essence, résultent du fait animique et vital, l'organisation. La psycologie des nations et de l'humanité devient, comme la psycologie de l'homme, Une science possible.

...

Ainsi, lorsque Louis Blanc et Pierre Leroux se posent en défenseurs de l'Etat, ce qui veut dire d'une constitution externe de la puissance publique, ils ne font autre chose que reproduire, sous une variante qui leur est propre et qu'ils n'ont pas encore fait connaître, cette vieille fiction de gouvernement représentatif, dont la formule intégrale, l'expression la plus complète, est encore la monarchie constitutionnelle.

Nous nions l'Etat et le Gouvernement; nous affirmons l'autonomie du Peuple en même temps que sa majorité. Comment serions-nous des fauteurs de tyrannie, des aspirants au ministère, des compétiteurs de Louis Blanc et de Pierre Leroux?

En vérité, nous ne concevons rien à la logique de nos adversaires. Ils acceptent un principe sans s'inquiéter des conséquences; ils adhèrent, par exemple, à l'égalité de l'impôt que réalise l'impôt sur le capital; ils adoptent le crédit populaire, mutuel et gratuit, car tous ces termes sont synonymes; ils applaudissent à là déchéance du capital et à l'émancipation du travail; puis, quand il s'agit de tirer les conséquences anti-gouvernementales de ces prémisses, ils protestent, ils continuent à parler politique et gouvernement, sans se demander si le gouvernement est compatible avec la liberté et l'égalité industrielles; s'il y a possibilité d'une science politique, quand il y a nécessité d'une science économique! La propriété, ils l'attaquent sans scrupule, malgré son antiquité vénérable; mais ils s'inclinent devant le pouvoir comme des marguilliers devant le Saint-Sacrement. Le gouvernement, c'est pour eux a-priori nécessaire et immuable, le principe des principes, l'archée éternelle.

Certes, nous ne donnons pas nos affirmations pour des preuves, nous savons, aussi bien que qui que ce soit, à quelles conditions une proposition se démontre. Nous disons seulement, qu'avant de procéder à une nouvelle constitution de l'Etat, il faut se demander si, à vue des réformes économiques que nous impose la Révolution, l'Etat lui-même ne doit pas être aboli; si cette fin des institutions politiques ne résulte pas du sens et de la portée de la réforme économique? Nous demandons si, en fait, après l'explosion de Février, après l'établissement du suffrage universel, la déclaration d'omnipotence des masses, et la subordination désormais inévitable du pouvoir aux volontés populaires, un gouvernement quelconque est encore possible; si ce gouvernement ne se trouverait pas placé dans l'alternative perpétuelle, ou de suivre docilement les injonctions aveugles et contradictoires de la multitude, ou de la tromper sciemment, comme l'a fait le gouvernement provisoire, comme l'ont fait de tout temps les démagogues? Nous demandons, à tout le moins, parmi les diverses attributions de l'Etat; lesquelles doivent être conservées et agrandies, lesquelles supprimées? Car, s'il arrivait, chose qu'il est encore permis de prévoir, que de toutes les attributions actuelles de l'Etat, pas une ne dût survivre à la réforme économique, il faudrait bien admettre, sur la foi de cette démonstration négative, que, dans cette condition nouvelle de la société, l'Etat n'est rien, ne peut être rien; en deux mots, que la seule manière d'organiser le gouvernement démocratique, c'est de supprimer le gouvernement.

...

II. - Du but ou de l'objet de l’Etat

On vient de voir que la notion de l'Etat considéré dans sa nature, repose tout entière sur une hypothèse, au moins douteuse, celle de l'impersonnalité et de l'inertie physique, intellectuelle et morale des masses. Nous allons prouver que cette même notion de l'Etat, considéré dans son objet, repose sur une autre hypothèse, plus improbable encore que la première, celle de la permanence de l'antagonisme dans l'humanité, hypothèse qui elle-même est une suite du dogme primitif de la chute ou du péché originel.

Nous continuons à citer le Nouveau Monde.
“Qu’arrivera-t-il, se demande Louis Blanc, si on laisse le plus intelligent ou le plus fort, mettre obstacle au développement des facultés de qui est moins fort ou moins intelligent? — Il arrivera que la liberté sera détruite.
« Comment empêcher ce crime?— En faisant intervenir entre l'oppresseur et l'opprimé tout le pouvoir du Peuple.
« Si Jacques opprime Pierre, les trente-quatre millions d'hommes dont la société française se compose accourront-ils tous à la fois pour protéger Pierre, pour sauvegarder la liberté? le prétendre serait une bouffonnerie.
«Comment donc la société interviendra-t-elle?
« Par ceux qu'elle aura choisis pour la REPRÉSENTER à cet effet.
« Mais ces REPRÉSENTANTS de la société, ces serviteurs du Peuple, qui sont-ils?—L'Etat.
« Donc l'Etat n'est autre chose que la société elle-même, agissant comme société, pour empêcher... quoi? l'oppression : pour maintenir... quoi? la liberté. »
Voilà qui est clair. L'Etat est une REPRÉSENTATION de la société, organisée extérieurement pour protéger le faible contre le fort; en autres termes, pour mettre la paix entre les combattants et faire de l'ordre! Louis Blanc n'est pas allé loin, comme l'on voit, pour trouver la destination de l'Etat.
Elle traîne, depuis Grotius, Justinien, Cicéron, etc., dans tous les auteurs qui ont parlé de droit public.

...

On imite, assez platement, les vieux mythologues; on copie le catholicisme, tout en déclamant contre lui; on singe le pouvoir, que l'on convoite : puis on crie de toutes ses forces: Liberté, Egalité, Fraternité! et le tour est fait. On passe révélateur, réformateur, rhabilleur démocratique et social; on est candidat désigné au ministère du progrès, voire même à la dictature de la République !

Ainsi, de l'aveu de Louis Blanc, le pouvoir est né de la barbarie; son organisation atteste, chez les premiers hommes, un état de férocité et de violence, effet de l'absence totale de commerce et d'industrie. C'est à cette sauvagerie que l'Etat dût mettre fin, en opposant à la force de chaque individu une force supérieure, capable, à défaut d'autre argument, de contraindre sa volonté. La Constitution de l'Etat suppose donc, nous le disions tout à l'heure, un profond antagonisme social, homo homini lupus : c'est ce que dit Louis Blanc lui-même , lorsqu'après avoir distingué les hommes en forts et faibles, se disputant, comme des bêtes féroces, leur nourriture, il fait intervenir entre eux, comme médiateur, l'Etat.

Donc l'Etat serait inutile, l'Etat manquerait d'objet comme de motif, l'Etat devrait s'abroger lui-même, s'il venait un moment où, par une cause quelconque, il n'y eût plus dans la société ni forts ni faibles, c'est-à-dire où l'inégalité des forces physiques et intellectuelles ne pût pas être une cause de spoliation et d’oppression, indépendamment de la protection plus fictive d'ailleurs que réelle de l'Etat.

Or, telle est justement la thèse que nous soutenons aujourd'hui.

Ce qui adoucit les moeurs, et qui fait peu à peu régner le droit à la place de la force, ce qui fonde la sécurité, qui crée progressivement la liberté et l'égalité, c'est, bien plus que la religion et l'Etat, le travail; c'est, en premier lieu, le commerce et l'industrie; c'est ensuite la science, qui le spiritualise; c'est, en dernière analyse, l'art, sa fleur immortelle. La religion par ses promesses et ses terreurs, l'Etat par ses tribunaux et ses armées, n'ont fait que donner au sentiment du droit, trop faible chez les premiers hommes, une sanction, la seule intelligible, à des esprits farouches. Pour nous, que l'industrie, les sciences, les lettres, les arts, ont corrompus, comme disait Jean-Jacques, cette sanction réside ailleurs: elle est dans la division des propriétés, dans l'engrenage des industries, dans le développement du luxe, dans le besoin impérieux de bien-être, besoin qui fait à tous une nécessité du travail. Après la rudesse des premiers âges, après l'orgueil des castes et la constitution féodale des premières sociétés, un dernier élément de servitude restait encore : c'était le capital. Le capital ayant perdu sa prépondérance, le travailleur, c’est-à-dire le commerçant, l'industriel, le laboureur, le: savant, l'artiste, n'a plus besoin de protection : sa protection, c'est son talent, c'est sa science, c'est son industrie. Après la déchéance du capital, la conservation de l'Etat, bien loin de protéger la liberté, ne peut que compromettre la liberté.

C'est se faire une triste, idée de l'espèce humaine, de son essence, de sa perfectibilité, de sa destinée, que de la concevoir comme une agglomération d'individus exposés nécessairement, par l'inégalité des forces physiques et intellectuelles, au péril constant d'une spoliation réciproque ou de la tyrannie de quelques-uns. Une pareille idée atteste la philosophie la plus rétrograde: elle appartient à ces temps de barbarie, où l'absence des vrais éléments de l'ordre social ne laissait au génie du législateur d'autre moyen d'action que la force; où la suprématie d'un pouvoir pacificateur et vengeur apparaissait à tous comme la juste conséquence d'une dégradation antérieure et d'une souillure, originelle. Pour dire toute notre pensée, nous regardons les institutions politiques et judiciaires comme la formule exotérique et concrète du mythe de la chute, du mystère de la Rédemption, et du sacrement de Pénitence. Il est curieux de voir de prétendus socialistes, ennemis ou rivaux de l'Eglise et de l'Etat, se faire les copistes de tout ce qu'ils blasphèment, du système représentatif en politique, du dogme de la chute en religion.

Puisqu'on parle tant de doctrine, nous déclarons franchement que telle n'est point la nôtre.

Pour nous, l'état moral de la société se modifie et s'améliore avec son état économique. Autre est la moralité d'un peuple sauvage, ignorant et sans industrie; autre celle d'un peuple travailleur et artiste : autres, par conséquent, sont les garanties sociales chez le premier, autres chez le second. Dans une société transformée, presque à son insu, par le développement de son économie, il n'y a plus ni forts, ni faibles; il n'existe que des travailleurs, dont les facultés et les moyens tendent sans cesse, par la solidarité industrielle et la garantie de circulation, à s'égaliser. Vainement, pour assurer le droit et le devoir de chacun, l'imagination se reporte à cette idée d'autorité et de gouvernement, qui atteste le profond désespoir des âmes longtemps effrayées par la police et le sacerdoce : le plus simple examen des attributions de l'Etat suffit pour démontrer que si l'inégalité des fortunes, l'oppression, la spoliation et la misère ne sont point l'éternel apanage de notre nature, la première lèpre que nous ayons à réformer, après l'exploitation capitaliste, la première plaie a guérir, c'est l'Etat.

Voyons, en effet, le budget à la main, ce que c'est que l'Etat.

L'Etat, c'est l'armée. — Réformateur, avez-vous besoin d'armée pour vous défendre? En ce cas, vous entendez la sécurité publique comme César et Napoléon... Vous n'êtes pas républicain ; vous êtes despote.

L'État, c'est la police; police urbaine, police rurale, police des eaux et forêts. — Réformateur, avez-vous besoin de police? Alors, vous entendez l'ordre comme Fouette, Gisquet, Caussidière et M. Cartier. Vous n'êtes point démocrate, vous êtes mouchard.

L'Etat, c'est tout le système judiciaire : juges de paix, tribunaux de première instance, cours d'appel; cour de cassation, haute cour, tribunaux de prud'hommes, tribunaux de commerce, conseils de préfecture, conseil d'Etat, conseils de guerre. — Réformateur, avez-vous besoin de toutes ces jugeries? Alors vous entendez la justice come MM. Baroche, Dupin et Perrin Dandin. Vous n'êtes point socialiste, vous êtes un routier.

L'Etat, c'est le fisc, le budget. — Réformateur, vous ne voulez pas de l'abolition des impôts? Alors vous entendez la richesse publique comme M. Thiers, pour qui les budgets les plus gros sont les meilleurs. Vous n'êtes point un organisateur du.travail, vous êtes un rat de cave.

L'Etat, c'est la douane. — Réformateur, vous faut-il, pour protéger le travail national, des droits différentiés et des barrières? Alors vous vous entendez au commerce et à la circulation comme M. Fould et M. Rothschild. Vous n'êtes point un apôtre de la fraternité : vous êtes un juif. (usuraio)

L'Etat, c'est la dette publique, la monnaie, l'amortissement, les caisses d'épargne, etc. — Réformateur, est-ce là votre science financière? Alors, vous entendez l'économie sociale comme MM. Humann, Lacave-Laplagne, Garnier-Pagès, Passy, Duclerc, et l'Homme aux quarante écus. Vous êtes un Turcaret.

L'Etat... mais il faut s'arrêter. Il n'y a rien, absolument rien dans l'Etat, du haut de la hiérarchie jusques en bas, qui ne soit abus à réformer, parasitisme à supprimer, instrument de tyrannie à détruire. Et vous nous parlez de conserver l'Etat, d'augmenter les attributions de l'Etat, de rendre de plus en plus fort le pouvoir de l'Etat ! Allez, vous n'êtes point un révolutionnaire; car le véritable révolutionnaire est essentiellement simplificateur et libéral. Vous êtes un mystificateur, un escamoteur; vous êtes un brouillon.

III. - D'une destination ultérieure de l'Etat

Ici surgit, en faveur de l'Etat, une dernière hypothèse. Parce que l'Etat, disent les pseudo-démocrates, n'a rempli, jusqu'à présent, qu'un rôle de parasitisme et de tyrannie, ce n'est pas une raison de lui refuser une destination plus noble et plus humaine. L’Etat est destiné à devenir l'organe principal de la production, de la consommation et de la circulation; l'initiateur de la Liberté et de l'Egalité. Car la Liberté et l'Egalité, c'est l'Etat. Le crédit, c'est l'Etat. Le commerce, l'agriculture et l'industrie, c'est l'Etat. Les canaux, les chemins de fer, les mines, les assurances, de même que les tabacs e les postes, c'est l'Etat. L'éducation publique, c'est l'Etat. L'Etat, enfin, quittant ses attributions négatives pour en revêtir de positives, d'oppresseur, improductif, et rétrograde qu'il fut toujours, doit devenir organisateur, producteur, et serviteur. C'est la féodalité régénérée, la hiérarchie des associations ouvrières, organisées et échelonnées suivant une formule puissante, dont Pierre Leroux se réserve de nous révéler le secret.

Ainsi, les organisateurs de l'Etat supposent, car, en tout ceci, ils ne font qu'aller de supposition en supposition, que l'Etat peut changer sa nature, se retourner, pour ainsi dire, lui même, de Satan devenir Archange, et, après avoir vécu, pendant des siècles, de sang et de carnage comme une bête féroce, paître le cythise avec les chevrettes, et donner la mamelle aux agneaux. C'est ce que nous enseignent Louis Blanc et Pierre Leroux; c'est, nous l'avons dit il y a longtemps, tout le secret des utopistes.

« Nous aimons le pouvoir tutélaire, généreux, dévoué, prenant pour devise ces paroles profondes de l'Evangile : — Que le premier d'entre vous soit le serviteur de tous les autres;— et nous le haïssons, dépravé, corrupteur, oppressif, faisant du Peuple sa proie. Nous l'admirons représentant, la partie généreuse et vivante de l'humanité; nous l'abhorrons quand il en représente la partie cadavéreuse. Nous nous révoltons contre ce qu'il y a d'insolence, d'usurpation, de brigandage dans cette notion: l'ETAT-MAÎTRE; et nous applaudissons à ce qu’il y a de touchant, de fécond et de noble, dans cette notion: l'ETAT-SERVITEUR. Disons, mieux : il est une croyance à laquelle nous tenons mille fois plus qu'à la vie, c'est notre croyance dans la prochaine et définitive TRANSFORMATION du pouvoir. Là est le passage triomphal du monde ancien au monde nouveau. Tous les gouvernements de l'Europe reposent aujourd'hui sur la notion de l'ETAT-MAÎTRE ; mais les voilà qui dansent, éperdus, la ronde des morts... » (Le Nouveau Monde, 15 novembre 1849)

Pierre Leroux est tout à fait dans ces idées. Ce qu'il veut, qu'il enseigne et qu'il appelle, c'est une régénération de l'Etat — il n'a pas dit encore par qui et par quoi doit s'opérer cette régénération; — comme il veut et appelle une régénération du christianisme, sans qu'il ait pu jusqu'ici poser son dogme et donner son Credo. Nous croyons, à rencontre de Pierre Leroux et de Louis Blanc, que la théorie de l'Etat tutélaire, généreux, dévoué, producteur, initiateur, organisateur, libéral et progressif, est une utopie, une pure illusion de leur optique intellectuelle.

...

Nous ne croyons pas à l'ETAT-SERVITEUR : c'est pour nous tout simplement une contradiction. Serviteur et maître, quand ils se disent de l'Etat, sont termes synonymes; de même que plus et moins, quand ils se rapportent à l'égalité, sont termes identiques. Le propriétaire, par l'intérêt du capital, demande plus que l'égalité; le Communiste, par la formule, à chacun suivant ses besoins, accorde moins que l'égalité : c'est toujours de l'inégalité; et c'est ce qui fait que nous ne sommes ni communiste ni propriétaire. Pareillement, qui dit Etat-maître, dit usurpation de la puissance publique; qui dit Etat-serviteur, dit délégation de la puissance publique; c'est toujours aliénation de cette puissance, toujours une autorité externe, arbitraire, à la place de l'autorité immanente, inaliénable, intransférable, des citoyens : toujours plus ou moins que la liberté. C'est pour cette raison que nous ne voulons pas de l'Etat.

Au surplus, pour sortir de la métaphysique et rentrer dans le domaine de l'expérience, voici ce que nous avons à dire à Louis Blanc et Pierre Leroux.

Vous prétendez et affirmez que l'Etat, que le gouvernement, peut et doit être intégralement transformé dans son principe, dans son essence, dans son action, dans ses rapports avec les citoyens, comme dans ses résultats : qu'ainsi l'Etat, banqueroutier et faux monnayeur, doit être la source de tout crédit; qu'ennemi des lumières, pendant tant de siècles, et en ce moment encore hostile à l'enseignement primaire et à la liberté de la presse, c'est à lui de pourvoir, d'office, à l’instruction des citoyens; qu'après avoir laissé se développer, sans son secours, souvent même malgré sa résistance, le commerce, l'industrie, l'agriculture, et tous les instruments de la richesse, il lui appartient de prendre l'initiative de tout travail comme de toute idée; qu'enfin, adversaire éternel de la liberté, il doit encore, non pas laisser la liberté à elle-même, mais créer, mais diriger la liberté. C'est dans cette transformation merveilleuse de l'Etat que consiste, suivant vous, la Révolution actuelle.

Vous avez donc tout à la fois, d'abord à établir la vérité de votre hypothèse, en déduisant sa légitimité traditionnelle, ses titres historiques, en exposant sa philosophie; en second lieu, à en faire l'application.

Or, il appert déjà que théorie et pratique, tout, dans votre hypothèse, est en contradiction formelle, et avec l'idée même, et avec les faits antérieurs, et avec les tendances les plus authentiques de l'humanité.

Votre théorie, disons-nous, implique contradiction, dans ses termes, puisqu'elle prétend faire de la liberté une création de l'Etat, tandis que c'est l'Etat, au contraire, qui doit être une création de la liberté. En effet, si l'État s'impose à ma volonté, l'Etat est maître; je ne suis pas libre; la théorie est à bas.

Elle est en contradiction avec les faits antérieurs, puisqu'il est certain, et reconnu par vous, que tout ce qui s'est produit, dans la sphère de l'activité humaine, de positif, de bon et de beau, a été le produit exclusif de la liberté, agissant indépendamment de l'Etat, et presque toujours en opposition avec l'Etat; ce qui mène droit à cette proposition, qui ruine votre système, que la liberté se suffit à elle-même, et n'a pas besoin de l'Etat.

Elle contredit, enfin, votre théorie, les tendances manifestes de la civilisation; puisqu'au lieu d'ajouter sans cesse à la liberté et la dignité individuelle, en faisant, suivant le précepte de Kant, de chaque âme humaine un exemplaire de l'humanité tout entière, une facette de l'âme collective, vous subordonnez la personne privée à la personne publique, vous soumettez l'individu au groupe, vous absorbez le citoyen dans l'Etat.

C'est à vous de lever, par un principe supérieur à la liberté et à l'État, toutes ces contradictions. Pour nous, qui nions purement et simplement l'Etat; qui, suivant résolument la ligne de la liberté, restons fidèles à la pratique révolutionnaire, nous n'avons point à vous démontrer la fausseté de votre hypothèse, nous attendons vos preuves. L'Etat-maître est perdu, vous en convenez avec nous : quant à l’Etat-serviteur, nous ne savons ce que ce peut être; nous nous en défions comme d'une souveraine hypocrisie. L'Etat-serviteur nous semble tout à fait être la même chose qu'une servante-maîtresse : nous n'en voulons pas; nous préférons, jusqu'à nouvel ordre, épouser en légitime mariage la Liberté. Expliquez donc, s'il vous est possible, comment, après avoir démoli l'Etat par amour pour cette Liberté adorée, nous devons maintenant, par l'effet du même amour, revenir à l'Etat? Jusqu'à ce que vous ayez résolu ce problème, nous continuerons de protester contre tout gouvernement, toute autorité, tout pouvoir; nous maintiendrons, envers et contre tous, la prérogative libérale. Nous vous dirons : La liberté est, pour nous, chose acquise; or, vous savez la règle de droit, Melior est conditio possidentis. Produisez vos titres à la réorganisation du gouvernement; sinon, pas de gouvernement !

Résumons. L'Etat est la constitution extérieure de la puissance sociale.

Cette constitution suppose, en principe, que la société est un être de raison dépourvu de spontanéité, de providence, d'unité, et qui à besoin, pour agir, d'être fictivement représentée par un ou plusieurs mandataires électifs ou héréditaires : hypothèse dont le développement économique des sociétés et l'organisation du suffrage universel concourent également à démontrer la fausseté.

La constitution de l'État suppose en outre, quant à son objet, que l'antagonisme ou l'état de guerre est la condition essentielle et indélébile de l'humanité, condition qui nécessite, entre les faibles et les forts, l'intervention d'une force coërcitive qui mette fin aux combats par une oppression générale. Nous soutenons qu'à cet égard, la mission de l'Etat est finie; que, par la division du travail, la solidarité industrielle, le goût du bien-être, la répartition égale du capital et de l'impôt : la liberté et la justice obtiennent de plus sûres garanties que toutes celles que leur offraient jadis la religion et l'Etat.

Quant à une transformation utilitaire de l'Etat, nous la considérons comme une utopie que contredisent à la fois, et la tradition gouvernementale, et la tendance révolutionnaire, et l'esprit des réformes économiques désormais admises. Dans tous les cas, nous disons qu'à la Liberté seule appartiendrait de réorganiser le pouvoir, ce qui équivaut aujourd'hui à une exclusion complète du pouvoir.

En résultat, ou point de révolution sociale, ou plus de gouvernement : telle est, sur le problème politique, notre solution.

 


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