Georges Vidal

Art

(1925-1934)

 



Note

Une présentation concise de l'art comme une jouissance pour tous lorsque chacun est libre d'en profiter, et non accablé par des fardeaux et des soucis quotidiens créés artificiellement par le pouvoir.

Source: Georges Vidal, Art, Encyclopédie anarchiste, 1925-1934.

 


 

L’art est une des plus nobles manifestations de l’esprit humain. L’art sincère et désintéressé, bien entendu.

Certains diront que seules les choses utiles ont droit à une place sous le soleil et ils énonceront l’inutilité de l’art. Ils ont tort, à mon avis. Mais auraient-ils raison qu’il faudrait se souvenir que le superflu est parfois beaucoup plus indispensable au bonheur de l’homme que le nécessaire.

Aussi loin que l’on remonte on peut constater l’existence de l’art. Il suffit d’examiner les vestiges des civilisations mortes pour constater l’importance grande qui lui fut toujours accordée. Chez les peuplades les plus sauvages on retrouve un art rudimentaire sans doute, mais un art tout de même, qui s’applique à de grossières décorations. L’homme, d’où qu’il vienne, a plus ou moins besoin d’enjoliver ce qui lui paraît fruste et de recourir à l’artifice des évocations. Quel que soit son degré de sensibilité, il a besoin de bercer sa peine ou son ennui. Et il fait appel à l’art, sous une quelconque de ses formes.

Le but de l’art devrait donc être éminemment humain.
Il ne l’est pas toujours.
Certains artistes se sont éloignés des horizons larges qui leur étaient ouverts pour se calfeutrer en des formules parfois ingénieuses mais souvent mesquines. Ne leur jetons pas la pierre trop facilement. Leur attitude a presque toujours été la conséquence de l’incompréhension du « public ». Ce dernier, absorbé par une quotidienne lutte, animé par les contraintes, aveuli par les dictatures, écrasé par son joug, ce dernier, dis-je - le peuple - était trop las pour se passionner aux choses de l’art. Sa curiosité était éteinte.

Il ne pouvait répondre aux efforts des artistes que par l’indifférence ou la goguenardise. Il ne comprenait plus et ne voulait pas essayer de comprendre.
Lorsqu’il avait besoin d’art - quand même - il trouvait toujours des affairistes pour lui donner brouet à son goût - son piteux goût. L’inévitable réaction s’est produite : de vrais artistes, désintéressés autant que sincères, ont clos leur art dans des chapelles.
Tout le monde y a perdu.

Mais le peuple ni l’art n’ont dit leur dernier mot.
Un jour viendra bien où l’idole Autorité s’écroulera. Car il n’est pas oeuvre d’idole que la volonté tenace et lente des siècles n’ait abattue. Toutes y passent à leur tour. Les Dieux ont parfois la vie longue, mais ils meurent quand même, comme les hommes, un beau matin.

Lorsque les jours ne seront plus, pour le peuple, des boulets à traîner; lorsque les plus humbles pourront initier leur corps et leur esprit à la douceur des haltes, naîtra alors un art nouveau. Un art aussi large que le ciel des campagnes, aussi profond que le désir humain. Un art vibrant et souple comme une chair féminine. Un art clair et frais comme une eau de fontaine. Et auquel des privilégiés ne seront pas seuls à pouvoir goûter.

La beauté n’est pas dans des formules, mais dans la vie.
Pour connaître la beauté, il faut vivre, pleinement, intensément. C’est parce que le peuple ne vit pas qu’il demeure étranger à l’art. Et c’est parce que les artistes ne vivent pas que leurs oeuvres sont pâles et pauvres. Du sang dans les artères, de l’air dans les poumons, du soleil dans les yeux, et tout le reste vous sera donné par surcroît...

Quelles seront les règles de l’art de demain ? Je ne sais et peu me chaut. Une belle femme peut s’habiller de mille façons, elle restera toujours belle - si réelle est sa beauté.

Attendons. Ou, plutôt, apprenons à vivre. Tout est là.

 


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